Vais-je prendre un traitement pour la bipolarité à vie ?
- moi
- 9 avr.
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Dernière mise à jour : 11 avr.
Quand on m'a prescrit pour la première fois un traitement thymorégulateur suite à mon diagnostic, je ne me suis pas réellement posé la question. Ou plutôt, j'ai dû assez vite en conclure que puisque la bipolarité était un trouble chronique, je prendrais un traitement à vie. Ce n'est que par la suite que j'ai rencontré des bipolaires qui envisageait un jour vivre sans médicaments. Et si aujourd'hui je reste persuadée que je prendrai un traitement à vie, je trouve que la question reste intéressante.
Le fonctionnement des médicaments thymorégulateurs
Tous les médicaments pour la bipolarité (ou thymorégulateurs) n'ont pas la même fonction. Parfois on a en tête qu'un médicament est plutôt indiqué pour les phases dépressives que pour les phases maniaques. Mais il y a aussi la question de savoir si un médicament agit préventivement ou s'il est efficace au moment des phases. Dans mon cas, je prends au quotidien deux thymorégulateurs qui servent à essayer de prévenir les rechutes, dépressives ou hypomaniaques. Mais parfois ils ne suffisent pas et j'ai aussi un traitement de crise que je prends uniquement dans le cas d'une hypomanie. Ce traitement ne me sert pas forcément très longtemps mais il permet de faire redescendre l'humeur. Ensuite les médicaments préventifs prennent le relai. J'ai donc les deux types de médicaments. Et pour les phases dépressives, cela se règle d'un point de vue médicamenteux avec des augmentations de dosage.
Ainsi les différents modes d'action se combinent.
Vouloir arrêter les médicaments une fois stabilisé
Ici je ne parle pas d'un arrêt sur un coup de tête en pleine phase d'excitation (c'est toujours une mauvaise idée). Mais plutôt du cas où les médicaments fonctionnent bien et où l'on peut sérieusement se demander s'ils sont encore utiles. Un bipolaire stabilisé depuis des années peut avoir envie de voir s'il peut vivre sans médicaments. De l'extérieur, on peut se dire que ça ne coûte rien de les prendre. Mais c'est oublier ce que cela coûte de se rappeler chaque jour qu'on est malade en regardant son pilulier. C'est oublier les effets secondaires qui continuent parfois des années après, les prises de sang de vérification, la crainte parfois des effets à long terme. C'est surtout qu'arrêter les médicaments, c'est tourner une page de la maladie.
Mais comment savoir ce qu'il se passe quand on arrête ? Pour les traitements de crise, je le sais assez vite : si je l'arrête et que je reste stable, c'est la preuve que la phase est passée. Si l'humeur recommence à varier, c'est que la stabilité que je percevais ne fonctionnais qu'avec le traitement. Dans ce cas, je sais clairement qu'il faut mieux reprendre le médicament et attendre de me stabiliser réellement. Mais pour mes traitements de fond, ceux que je prends parfois depuis deux ans, ceux que certains prennent depuis des années en restant stables ? C'est tentant de considérer que l'euthymie qui dure est la preuve qu'on peut se passer de médicaments. Mais il n'y a aucun moyen de savoir si l'on va rechuter au moindre arrêt du médicament ou si, avec une bonne hygiène de vie, parce qu'on connaît bien son trouble à force, on peut envisager de l'arrêter et être stable sans.
La réticence des soignants à l'idée d'arrêter
On ne va pas se mentir, j'ai plutôt croiser des soignants qui insistaient sur l'idée qu'on était bipolaire à vie et qu'il en était de même pour le traitement. Mais d'autres soulignaient aussi qu'effectivement, cela se faisait dans certains pays d'envisager un arrêt ou une réduction de traitement après des années d'euthymie. Mais la frilosité générale des médecins s'expliquent en partie par l'imprévisibilité de la réaction à l'arrêt. Et vu l'état de la psychiatrie en France, je peux malheureusement concevoir cette posture. Faire prendre le risque à un patient d'une rechute et potentiellement d'un retour à la case départ, aux crises et aux hallucinations, alors que le traitement marche c'est compliqué. Et ce, même si on peut y opposer les effets secondaires de ces mêmes traitements, qui peuvent sembler, à la longue, plutôt maîtrisés.
Un aspect qui va dans ce sens d'avoir une soignante, même si je n'ai pas l'explication, c'est que si l'arrêt d'un traitement se passe mal, on n'est pas sûr qu'il soit aussi efficace quand on le reprend. Ainsi, ce n'est pas seulement un risque de rechute qui est dans la balance mais potentiellement la remise en cause de tout le traitement. Evidemment, je ne m'y connais pas assez pour détailler et il y a sans doute autant de situations que de personnes et de traitements. Mais effectivement, mon arrêt puis ma reprise de quetiapine m'ont montré que j'avais visiblement beaucoup plus d'effets secondaires la deuxième fois. Cela me fait réfléchir...
Personnellement, je ne veux pas arrêter
Ceci n'est évidemment qu'un avis personnelle après tout cela et je pense pas qu'il est valable pour tout le monde. Mais je sais que si demain ma psy me propose d'arrêter un traitement, je refuserai. Je suis la première à me plaindre du nombre de médicaments que je prends, des prises de sang, des effets secondaires divers et variés. Je suis la première à dire que voir mon pilulier me déprime mais j'ai aussi l'impression de revenir de loin en terme de traitements.
J'ai l'impression que ma stabilité repose sur un équilibre médicamenteux très fragile et qu'il suffirait d'un rien pour le rompre. Je n'exagère pas tant que cela quand je me dis que j'ai essayé tous les traitements possibles. Et je me rappelle forcément de quelques déconvenues, quand le traitement censé être mieux et remplacer le précédent se révèle inefficace. Et au-delà de la déstabilisation au niveau de la chimie de mon cerveau, émotionnellement ce n'est pas simple de fonder des espoirs sur un médicament ou sur son arrêt. Et aujourd'hui je ne m'y sens pas prête, peut-être que cela viendra.
Pour l'instant, je préfère me projeter dans une stabilisation avec ces médicaments comme béquille et sans ce saut dans l'inconnu qui me paraît potentiellement inutile et hasardeux. Cela ne veut pas dire que je ne me rétablis pas. Cela veut seulement dire que je juge acceptable la contrainte des médicaments si elle me libère du reste.
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